Le mythe du dirigeant multitâche ou comment survivre à l’illusion du contrôle (2/2)
Le temps.
C’est à la fois la ressource la plus précieuse, et celle, souvent, que l’on maîtrise le moins. Chaque matin, le même ballet se joue : un collaborateur à briefer, un dossier à relire, un mail à rédiger, un client à rappeler. Entre la stratégie qu’il faudrait construire et les urgences qu’il faut éteindre, le dirigeant oscille sans cesse entre anticipation et réaction.
Mais est-ce réellement un paradoxe ? L’oscillation permanente entre les dossiers et les urgences n’est-elle pas liée à l’essence même du dirigeant ?
Ce « paradoxe » ne constitue pas un signe de faiblesse ni un symptôme de management inefficient. Il le devient toutefois dès lors que la réaction prend peu à peu le pas sur l’anticipation, et que ce cercle vicieux s’amplifie et se reproduit sans fin.
La surcharge devient la norme, et la lucidité, un luxe.
Et pourtant, il existe des leviers simples, rationnels, immédiatement activables, pour commencer à reprendre le contrôle sans perdre la proximité qui fait la force d’un dirigeant.
Voici quatre outils concrets et puissants dans leurs effets, qui complètent ceux présentés dans mon article précédent : Le mythe du dirigeant multitâche ou comment survivre à l’illusion du contrôle (1/2)[1].
1. La méthode 2-20-2-2 : une méthode d’aide à la décision pour reprendre le pouvoir sur l’imprévu
Il suffit d’une interruption pour perdre le fil de sa journée. L’imprévu est le talon d’Achille du dirigeant multitâche, qu’il s’agisse d’une demande floue, d’un appel urgent ou d’une sollicitation de dernière minute.
Or, toutes les urgences ne se valant pas, comment décider de poursuivre sa tâche ou bien de répondre favorablement à une sollicitation imprévue ?
La méthode 2-20-2-2, inspirée des logiques de décision rapides des cadres dirigeants, repose sur une idée simple :
Si la tâche demandée nécessite 2 minutes ? Faites-le immédiatement.
20 minutes ? Terminez ce que vous faites, puis traitez-le sous deux heures.
2 heures ? Mesurez l’impact, replanifiez, informez.
2 jours ? Clarifiez la demande et arbitrez en équipe.
Ce système agit comme un pare-feu mental : Il protège votre concentration, tout en maintenant la réactivité attendue d’un dirigeant. En l’appliquant, on découvre souvent que 70 % des sollicitations relèvent de la simple agitation, pas de la véritable urgence.
2. Sécuriser les demandes : la clarté comme culture
Pour paraphraser Bernard Werber, entre ce que je pense, ce que je dis, ce que j’entends, ce que je crois dire, ce que je crois entendre et ce que je crois comprendre, et ce que mon collaborateur pense dire et pense comprendre, la probabilité que nous nous comprenions parfaitement est très faible.
Un dossier mal compris, c’est un dossier qui finira mal. Ce n’est pas une question de compétence, mais de compréhension.
Il en est de même lorsque les consignes sont données à la volée, que les attentes sont implicites, et que les échéances floues. Le résultat est toujours le même : du stress, des erreurs, une charge mentale inutile et du temps perdu.
La solution tient en trois questions pour lesquelles l’obtention de réponses affirmatives est obligatoires :
- Est-ce clair ?
- Avez-vous des questions ?
- Sommes-nous d’accord sur les livrables et les échéances ?
Ces questions, aussi anodines que rapides à poser, permettent de créer une culture du temps bien investi, où chaque collaborateur sait ce qu’il doit faire et pour quand.
3. Réunions : ritualiser sans alourdir
Le terme « réunion » suscite souvent des soupirs auprès des collaborateurs. Trop longues, trop floues, trop fréquentes. Pourtant, une réunion bien conçue et bien menée reste un outil d’alignement formidable.
Le secret ? La préparation, la structure, et le suivi.
- Fixer un objectif clair : à la fin de la réunion, qu’a-t-on décidé ?
- Limiter la durée : 45 minutes est souvent un bon format.
- Envoyer un ordre du jour synthétique à l’avance.
- Canaliser les échanges autour de de l’ordre du jour
Et surtout, adopter le compte-rendu actif : rédigé en direct, validé en fin de réunion, il fixe les décisions, les responsabilités et les échéances.
Cet outil transforme la réunion en un véritable moment d’arbitrage collectif plutôt qu’un simple déversoir d’informations. Il permet de canaliser les attentions durant la réunion, et surtout, d’optimiser le déploiement opérationnel des décisions prises dès la fin de la réunion.
Un dirigeant qui applique ce principe n’assiste plus à des réunions : il orchestre des décisions. Et là réside toute la différence entre un agenda subi et un agenda maîtrisé.
4. La sur-qualité : l’ennemi invisible
Imprimer systématiquement les dossiers numériques, faire vérifier un même document par trois personnes, rédiger un rapport de dix pages là où deux suffiraient : trois exemples simples de sur-qualité où le perfectionnisme stérile se déguise en professionnalisme.
La sur-qualité semble rassurer, mais elle ralentit en réalité votre entreprise.
Elle épuise lentement et souvent de manière imperceptible les équipes, sans améliorer la valeur perçue par le client, ni votre rentabilité.
Traquer la sur-qualité, ce n’est pas renoncer à l’exigence, c’est redéfinir la juste valeur du travail bien fait.
Digitaliser les flux, limiter les validations inutiles, standardiser les process internes constituent autant d’actions simples qui libèrent du temps et clarifient les priorités. Vous pouvez, pour cela, structurer des logigrammes en réunissant vos collaborateurs, de manière à travailler, ensemble, à la définition de process optimisés. Il en résultera une meilleure cohésion interne, du temps « retrouvé » par vos équipes, et par vous.
Je dis souvent à mes clients qu’être dirigeant, ce n’est pas être partout, c’est surtout savoir où l’on est indispensable. La valeur du temps dépend en effet moins de sa durée que de sa qualité. Ces quatre outils — 2-20-2-2, sécurisation des demandes, compte-rendu actif, bannir la sur-qualité — ne sont pas des gadgets méthodologiques. Ce sont des cadres mentaux qui structurent la pensée, les process et qui vous permettent, encore plus s’ils sont également déployés par vos équipes, de vous faire gagner un temps précieux et d’alléger votre charge mentale.
